COUR DES COMPTES - Quatrième Chambre - Arrêt d'appel - 04/02/2021 - Commune de Montluçon (Allier) - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes - n° S-2021-0096

Texte intégral

La Cour,

Vu la requête enregistrée le 3 juin 2020 au greffe de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes, par laquelle  le maire de Montluçon, en sa qualité de représentant légal de cette commune, a élevé appel du jugement n° 2019-0037 du 2 mars 2020 de ladite chambre régionale qui a constitué M. X, comptable de la commune, débiteur envers celle-ci pour un montant de 14 744,14 € qui correspond à des frais de mission remboursés à des élus de la collectivité sans production de délibérations leur accordant un mandat spécial ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le réquisitoire n° 13-GP/2018 du 21 mars 2018 du procureur financier près la chambre régionale Auvergne-Rhône- Alpes ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

Vu le rapport de Mme Isabelle GRAVIERE-TROADEC, conseillère maître, chargée de l’instruction ;

Vu le mémoire déposé au greffe de la Cour après clôture de l’instruction par le conseil de la commune de Montluçon, le 5 janvier 2021 ;

Vu les conclusions n° 014 de la Procureure générale du 8 janvier 2021 ;

Entendu, lors de l’audience publique du 14 janvier 2021, Mme GRAVIERE-TROADEC, en son rapport, M. Christophe LUPRICH, substitut général, en les conclusions du ministère public, la commune de Montluçon représentée parMaître Maud Child, avocate à la Cour, ayant eu la parole en dernier ;

Après avoir entendu en délibéré M. Yves ROLLAND, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

1. Attendu que, par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône- Alpes a constitué M. X, comptable de la commune de Montluçon, débiteur envers celle-ci, au titre de la seconde charge du réquisitoire susvisé portant sur l’exercice 2015, de la somme de 14 744,14 € augmentée des intérêts de droit à compter de la date du 14 avril 2018 pour avoir pris en charge et payé 12 mandats relatifs à 72 notes de frais sans disposer de délibérations accordant un mandat spécial aux élus concernés ; que, pour fonder sa décision, la chambre régionale, après avoir souligné que le code général des collectivités territoriales (CGCT) distingue les frais engagés par les élus communaux dans le cadre d’un mandat spécial (article L. 2123-18), des frais engagés pour se rendre à des réunions dans des instances ou organismes où ils représentent leur commune es qualité lorsque la réunion a lieu hors du territoire de celle-ci (article L. 2123-18-1), a rappelé que, selon le juge administratif, un mandat spécial est nécessaire pour toutes les missions accomplies par les élus avec l’autorisation du conseil municipal dans l’intérêt des affaires communales à l’exclusion seulement de celles qui leur incombent en vertu d’une obligation expresse ; qu’elle en a déduit que les frais exposés pour des missions qui ne résultent pas de la désignation de l’élu au sein d’une instance où il est chargé de représenter la commune ne peuvent pas être pris en charge sans mandat spécial ; que, dans la mesure où le paiement de frais de mission sans mandat spécial lorsque celui-ci est requis revêt un caractère indu, la commune de Montluçon a subi un préjudice financier ;

2. Attendu que l’appelant, d’une part, sollicite de la Cour l’annulation du jugement entrepris en tant que ce jugement n’est pas appuyé des mandats litigieux et des pièces à l’appui de ces mandats, qu’il est mal motivé, que la formation de délibéré est irrégulière et la procédure contradictoire a été incomplète et, d’autre part, demande de dire et juger par l’effet dévolutif de l’appel que, s’agissant de la charge n° 2, les paiements sont réguliers et, à titre subsidiaire, que la commune n’a subi aucun préjudice financier ;

Sur la régularité

3. Attendu que l’appelant fait valoir que les mandats de paiement et les pièces à l’appui des mandats litigieux ne figurent pas au dossier d’instruction ; que la commune n’a pu les consulter malgré sa demande formulée le 6 décembre 2019 ; que, selon la requête, dans le dossier figurait bien une page numérotée 11-1 mentionnant « mandats et pièces jointes », mais avec une annotation « courrier + annexes volumineuses adressées directement au magistrat » ; qu’elle en conclut que cette annotation montre manifestement que les mandats ne figurent pas au « dossier d’instruction » que la collectivité souhaitait consulter pour se défendre ;

4. Attendu que les articles L. 242-4 alinéa 2 et R. 245-5 du code des juridictions financières imposent aux chambres régionales des comptes de garantir aux parties à l’instance l’accès au dossier d’instruction et à l’ensemble des pièces qui le constituent ;

5. Attendu que si les mandats de paiement et les pièces à l’appui figurent dans le dossier d’appel transmis à la Cour, ces pièces ne l’étaient pas dans le dossier transmis à la commune et au comptable dans le cadre de l’instruction réalisée par la chambre régionale des comptes ; que le greffe de cette dernière a reconnu que ces pièces n’ayant pas été scannées, elles n’avaient pas été adressées à la commune par voie dématérialisée contrairement à l’ensemble des autres pièces de l’instruction ; qu’une collaboratrice du maire aurait indiqué au greffe de la chambre régionale que cette transmission n’était pas indispensable ;

6. Attendu que la mise à disposition de l’ensemble des pièces de l’instruction s’impose aux chambres régionales des comptes en vertu notamment de l’article R. 245-5 du code des juridictions financières qui prévoit : « Les parties à l’instance ont, dès la notification de l’ouverture de celle-ci, accès au dossier constitué des pièces sur lesquelles le réquisitoire est fondé et de celles versées au cours de l’instruction . » ; que les mandats de paiement litigieux et leurs pièces justificatives fondaient le réquisitoire en ce qui concerne la charge n° 2 ; que leur connaissance par les parties était donc nécessaire à l’exercice de la contradiction ;

7. Attendu qu’en ne mettant pas à disposition de la commune de Montluçon les mandats concernés par la charge n° 2 et leurs pièces justificatives, la chambre régionale a méconnu le principe du contradictoire ; que, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens d’annulation invoqués par l’appelant, il convient ainsi d’annuler le jugement entreprisen ce qui concerne la charge n° 2 ;

8. Attendu que l’affaire est en état d’être jugée ; qu’il y a donc lieu de l’évoquer et de statuer sur le réquisitoire susvisé du procureur financier ;

Sur le fond

9. Attendu que la charge n° 2 du réquisitoire susvisé fait grief à M. X d’avoir pris en charge et payé, au cours de l’exercice 2015, sur le compte 6532 « Frais de mission des élus » des dépenses exposées par des élus dans le cadre de missions liées à un mandat spécial sans avoir disposer d’une délibération du conseil municipal accordant un mandat spécial prévue par la rubrique 321 de l’annexe 1 à l’article D.1617-19 du CGCT susvisé ; qu’il fonde cette charge sur l’article L. 2123-18 du CGCT selon lequel : « les fonctions de maire, d’adjoint, de conseiller municipal, de président et membre de délégation spéciale donnent droit au remboursement des frais que nécessitent l’exécution des mandats spéciaux. Les frais ainsi exposés peuvent être remboursés forfaitairement dans la limite du montant des indemnités journalières allouées à cet effet aux fonctionnaires de l’État. Les dépenses de transport effectuées dans l’accomplissement de ces missions sont remboursées sur présentation d’un état de frais. Les autres dépenses liées à l’exercice d’un mandat spécial peuvent être remboursées par la commune sur présentation d’un état de frais et après délibération du conseil municipal (…) » ; qu’en l’espèce, à l’appui des mandats, ont été joints les états de frais de déplacement correspondant au remboursement des dépenses engagées par les élus pour se rendre à des réunions où ils représentent ès qualité la commune lorsque ces réunions ont lieu hors du territoire de celle-ci ; que la délibération du 16 janvier 1989 par laquelle le conseil municipal de Montluçon décide la prise en charge par la commune des frais de déplacement, des frais d’hébergement et de repas des élus au cours de leurs activités municipales sur présentation d’un mémoire, n’accorde pas de mandat spécial aux élus ; que le procureur financier en déduit que le comptable ne disposant pas, à l’appui des 12 mandats litigieux, d’un mandat spécial, il a ouvert sa caisse en l’absence d’une pièce justificative qui devait être exigée ; que cette circonstance est susceptible d’engager la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ;

10. Attendu que l’appelant considère, dans un premier temps, qu’en l’espèce la chambre régionale a défini un champ d’application du mandat spécial « imprécis et même contradictoire » ; que, selon lui, l’exigence de production d’un mandat spécial n’est pas ici fondée ; qu’en effet celle-ci supposerait que les missions en cause revêtent un caractère exceptionnel et se distinguent des missions traditionnelles des élus ; qu’en l’occurrence, les missions réalisées l’ont été dans le cadre des responsabilités ordinaires des élus justifiées par leurs délégations de compétence ; que ces missions ordinaires sont d’ailleurs très nombreuses et qu’aucun texte n’en donne une énumération exhaustive; qu’au surplus les sommes remboursées sont peu importantes en nombre et en montant ; qu’enfin, le comptable n’a pas compétence pour apprécier l’opportunité d’une dépense et vérifier la nature de l’activité de l’élu ;

11. Attendu que la Procureure générale près la Cour des comptes, dans ses conclusions susvisées, sans se prononcer spécifiquement sur la compétence du comptable public pour apprécier si une mission effectuée par un élu local ayant engagé des frais dont il est demandé le remboursement nécessite ou non un mandat spécial, propose de constituer le comptable de la commune de Montluçon débiteur des sommes qu’il a payées au titre de remboursements de frais engagés sans disposer de délibérations du conseil municipal accordant un mandat spécial aux élus concernés par lesdits déplacements ; qu’elle invite la Cour à retrancher des sommes mises à la charge du comptable trois mandats visant à rembourser des frais engagés dans le cadre de déplacements « effectués par le maire en sa qualité de représentant de la commune, c’est-à-dire dans le cadre de l’exercice habituel de ses attributions » ; que, s’agissant d’un remboursement engagé au titre de la participation du maire à l’assemblée générale de l’association TGV Grand Centre Paris, elle propose de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable dès lors que le maire de Montluçon n’a pas participé à cette réunion ès qualité mais en tant que président de l’agglomération de Montluçon, sur le budget de laquelle le remboursement aurait donc dû être effectué ;

12. Attendu que la notion de mandat spécial pour un élu local doit être comprise de toutes les missions accomplies avec l’autorisation du conseil municipal dans l’intérêt des affaires communales, à l’exclusion seulement de celles qui lui incombent en vertu d’une obligation résultant d’une disposition législative ou réglementaire expresse ; que le mandat spécial désigne ainsi des missions à caractère exceptionnel différant des missions ordinaires de l’élu et ayant un caractère temporaire ;

13. Attendu qu’il appartient à la seule autorité délibérante sur proposition de l’ordonnateur de déterminer si une mission confiée à un élu local nécessite un mandat spécial ; que le juge des comptes ne peut exiger du comptable public qu’il décide de sa propre initiative si une mission aurait nécessité ou non un mandat spécial ; qu’en effet, la notion de mandat spécial n’étant pas définie précisément par le CGCT et résultant d’une construction jurisprudentielle élaborée par le juge administratif, il n’appartient pas au comptable public d’interférer dans une décision qui relève de l’ordonnateur et de l’autorité délibérante ; qu’il ne peut être exigé du comptable qu’il exerce un contrôle de légalité sur les pièces justificatives fournies par l’ordonnateur alors que celles-ci ne présentent en elles-mêmes ni incohérence au regard de la catégorie de dépense définie dans la nomenclature applicable ni incohérence au regard de la nature et de l’objet de la dépense engagée ;

14. Attendu qu’au cas d’espèce, l’ordonnateur a estimé que les déplacements ayant donné lieu à l’engagement de frais de transport, d’hébergement ou de restauration dont il était demandé au comptable de procéder au remboursement ne nécessitaient de mandat spécial car ils entraient dans le cadre de missions ordinaires dévolues par la loi ou par les délégations conférées aux adjoints au maire ; que le comptable n’a pas à se prononcer sur la légalité de cette appréciation de l’ordonnateur ; qu’il lui appartient seulement de vérifier que le mandat destiné à effectuer le remboursement des frais ainsi engagés est accompagné des pièces justificatives exigées par la nomenclature ; que cette dernière distingue certes les « frais d’exécution d’un mandat spécial » (rubrique 321 de l’annexe I de l’article D. 1617-19 du CGCT susvisé) et les « frais de déplacement et de missions » (rubrique 322 de la même annexe) ; que dès lors qu’il n’appartenait pas au comptable de décider qu’une mission effectuée par un élu rendait obligatoire la production d’un mandat spécial, il devait se borner à vérifier la production à l’appui des mandats des pièces justificatives énumérées à la rubrique 322, à savoir la production d’états de frais ; qu’il n’est pas contesté que de tels états de frais ont été produits pour les 12 mandats incriminés ;

15. Attendu au surplus que l’article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales confère aux élus la possibilité de se faire rembourser leurs frais de mission lorsqu’ils participent, hors du territoire de la commune, à des réunions d’instances ou organismes au sein desquels ils représentent leur commune es-qualité ;

16. Attendu que le conseil municipal de Montluçon a adopté le 16 janvier 1989 une délibération n° 89.189 ainsi rédigée : « La Ville prend en charge les frais de déplacement, par avion, le train ou par la route, ainsi que les frais d’hébergement et de repas engagés par les Élus, au cours de leurs activités municipales, ces frais étant réglées sur présentation d’un mémoire » ; que cette délibération dont le comptable n’a pas à juger de la légalité prévoit le remboursement de tous les frais engagés par les élus dans le cadre de leurs activités municipales sans préciser si ces activités ont lieu sur le territoire de la commune ou hors de celui-ci ; que cette délibération s’impose donc au comptable ;

17. Attendu que le réquisitoire susvisé ne fait grief au comptable que d’avoir payé les mandats incriminés sans exiger la production d’un mandat spécial ; qu’en conséquence, le juge ne peut statuer ultra petita sur d’autres griefs qu’il s’agisse du défaut de vérification de la validité de la créance ou du paiement de frais pour des missions effectuées sur le territoire communal ; qu’au demeurant pour ces derniers paiements, la délibération précitée du 16 janvier 1989 s’imposait au comptable qui n’aurait pu s’opposer, pour ce motif, au paiement des mandats incriminés ; que, de même, le juge des comptes ne peut, sans être explicitement saisi de ce grief, mettre en jeu la responsabilité du comptable pour avoir payé sur le budget communal une dépense qui relevait du budget de l’agglomération ;

18. Attendu qu’il ressort de ce qui précède qu’il convient de prononcer un non-lieu à charge au bénéfice de M. X au titre de la charge n° 2 ;

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1 er – Le jugement n° 2019-0037 du 2 mars 2020 de la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes est annulé en ce qu’il a constitué M. X débiteur envers la commune de Montluçon, au titre de la seconde charge sur l’exercice 2015, pour la somme de 14 744,14 € augmentée des intérêts de droit.

Article 2 – Il est prononcé un non-lieu à charge au profit de M. X au titre de la charge n° 2 du réquisitoire du procureur financier près la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes du 21 mars 2018.

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Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de séance, Mme Catherine DEMIER, conseillère maître, M. Yves ROLLAND, conseiller maître et Mme Sophie MOATI, présidente de chambre maintenue en activité.

En présence de Mme Stéphanie MARION, greffière de séance.

En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la république près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par

Stéphanie MARION

Jean-Yves BERTUCCI

Conformément aux dispositions de l’article R. 142-20 du code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation présenté, sous peine d’irrecevabilité, par le ministère d’un avocat au Conseil d’État dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’acte. La révision d’un arrêt ou d’une ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce dans les conditions prévues au I de l’article R. 142-19 du même code.

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