Décision n° 2019-395 du 31 juillet 2019 relative à un différend opposant les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV à la société Free

Version initiale


  • Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,
    Vu la procédure suivante :
    Par une demande, enregistrée le 1er avril 2019 et régularisée le 2 avril suivant, sous le numéro RD/2019-01, les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV, représentées par la SCP Piwnica & Molinié, demandent au Conseil supérieur de l'audiovisuel, sur le fondement des dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, que la société Free :


    - communique au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à titre préalable et dans un délai de quarante-huit heures, les contrats déjà conclus avec d'autres éditeurs, tels que les groupes TF1 et M6 ;
    - dans un délai de deux semaines à compter de la décision à intervenir, accepte l'offre commerciale présentée par le groupe NextRadioTV et conclue de bonne foi le contrat qui lui a été proposé.


    A titre subsidiaire, les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV demandent au Conseil supérieur de l'audiovisuel, s'il l'estime nécessaire, de déterminer les conditions équitables sur la base desquelles les parties devront conclure de bonne foi un contrat de distribution global.
    Elles soutiennent que :


    - l'existence d'un différend ne fait aucun doute ; le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose des pouvoirs d'injonction les plus étendus pour le résoudre ;
    - le cadre légal issu de la loi de 1986 est caractérisé par une asymétrie entre les distributeurs et les éditeurs ;
    - le principe de gratuité des services diffusés en clair par voie hertzienne terrestre est lié à ce mode de diffusion et ne s'étend pas à la distribution sur d'autres réseaux ;
    - le droit voisin du droit d'auteur dont disposent les éditeurs sur leurs programmes leur permet de subordonner l'octroi de l'autorisation de les diffuser à une rémunération ;
    - l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 n'exclut pas une rémunération ;
    - l'offre de NextRadioTV présente un caractère objectif ;
    - l'offre de NextRadioTV présente un caractère équitable car les chaînes et leurs services associés contribuent significativement à la qualité et la diversité des programmes ; Free tire des profits significatifs de la commercialisation des chaînes et des services associés, tout en contribuant à la fragilisation de leur modèle économique ; l'offre de NextRadioTV correspond à un partage équitable de la valeur ;
    - l'offre de NextRadioTV présente un caractère transparent et non discriminatoire ;
    - le refus opposé par la société Free est inéquitable et discriminatoire.


    Par une décision du 4 avril 2019, le directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel a nommé M. Le Dorze en qualité de rapporteur, Mme Gilles et M. Pradier en qualité de rapporteurs-adjoints pour l'instruction du présent règlement de différend ;
    Par une délibération du 10 avril 2019, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adopté le calendrier de la procédure ;
    Par des observations en défense, enregistrées le 3 mai 2019, la société Free, représentée par la SCP Spinosi & Sureau, conclut au rejet des demandes formulées par les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV ;
    Elle soutient que :


    - le désaccord portant sur le refus d'accepter la proposition de contrat émise par un saisissant n'entre pas dans le champ de la mission de règlement des différends du Conseil supérieur de l'audiovisuel, sauf pour celui-ci à établir que le contrat qu'il a proposé résulte d'une obligation réglementaire, ce que les saisissantes excluent expressément aux termes de leur saisine ;
    - admettre la recevabilité d'une demande de règlement de différend relative à une offre de distribution aussi indissociable que globale, dont une partie a, seule, défini les termes et refusé qu'ils puissent être négociés, ne participe pas de l'office d'un organisme de règlement de différend et le Conseil supérieur de l'audiovisuel devra constater qu'il n'est pas valablement saisi de demandes suffisamment précises, justifiées, détaillées relatives aux conditions de mise à disposition du public des services de télévision et que, par suite, il ne saurait se prononcer sur la demande des sociétés saisissantes ;
    - la demande formulée à titre subsidiaire, aux termes de laquelle il est demandé au Conseil supérieur de l'audiovisuel « de déterminer les conditions équitables sur la base desquelles les parties devront conclure de bonne foi un contrat de distribution globale », n'est pas assortie des précisions suffisantes pour permettre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de se prononcer sur son bien-fondé ;
    - le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne saurait enjoindre à la société Free « d'accepter l'offre commerciale de NextRadioTV » ;
    - les contrats TF1 et M6 ne peuvent être produits car ils font l'objet d'une clause de confidentialité et relèvent du secret des affaires ;
    - les sociétés saisissantes ne peuvent revendiquer aucun droit à rémunération des éditeurs en raison de la distribution de leur signal linéaire, au regard du droit de l'Union européenne, du droit constitutionnel, du droit de l'audiovisuel, du droit de la concurrence et du droit de la propriété intellectuelle ;
    - la solution consistant à ne pas rémunérer les éditeurs pour la distribution obligatoire de leurs services linéaires est parfaitement conforme au principe de non-discrimination ;
    - la société Free dispose d'une totale liberté contractuelle quant à la reprise de services associés, et le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne dispose d'aucun pouvoir pour la contraindre à acheter de tels services ;
    - à titre subsidiaire, les sociétés saisissantes ne démontrent pas que la reprise de leurs services associés créerait pour elles une véritable valeur ajoutée, justifiant la rémunération qu'elles sollicitent.


    Par des observations en réplique, enregistrées le 14 mai 2019, les sociétés demanderesses concluent aux mêmes fins que leur demande par les mêmes moyens et demandent en outre qu'il soit enjoint à la société Free de leur adresser, dans un délai de deux semaines à compter de la décision à intervenir, une offre de contrat pour la distribution des chaînes et de leurs services associés présentant un caractère objectif, équitable et non discriminatoire et prévoyant une rémunération nette des coûts de transport, selon les conditions de la proposition du groupe NextRadioTV ;
    Elles soutiennent en outre que :


    - la société Free présente de manière biaisée les tentatives de négociations de NextRadioTV en vue de parvenir à la conclusion d'un accord global équivalent à ceux conclus par Free avec les groupes TF1 et M6 et l'échec de ces négociations ;
    - la société Free a bénéficié d'un long préavis et c'est sans ambiguïté que NextRadioTV souhaitait conclure un accord portant de manière indissociable sur les chaînes et leurs services moyennant rémunération ;
    - les demandes d'injonctions formulées sont recevables ;
    - le différend est suffisamment caractérisé ;
    - le Conseil supérieur de l'audiovisuel dispose de pouvoirs étendus au titre de sa mission de règlement de différend, dont celui de préciser les conditions permettant d'assurer le respect par les éditeurs et distributeurs des obligations tenant au respect du caractère transparent, objectif, équitable et non discriminatoire de leurs relations contractuelles ; l'injonction d'accepter une offre commerciale entre manifestement dans le champ de ces mesures ;
    - le différend s'inscrit dans le cadre d'une relation contractuelle ;
    - le présent différend est en lien avec l'obligation de reprise que l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 fait peser sur la société Free ;
    - le prononcé d'une injonction tendant à la communication au Conseil supérieur de l'audiovisuel des contrats conclus entre Free et d'autres éditeurs n'aurait pas pour effet de méconnaître le secret des affaires ;
    - le comportement de Free caractérise une discrimination, en violation des principes rappelés par l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;
    - les services linéaires et non linéaires présentent un caractère indissociables ;
    - l'offre de NextRadioTV est conforme à la réglementation audiovisuelle, au droit de l'Union européenne, au droit constitutionnel, au droit de la concurrence dès lors qu'elle ne constitue pas un abus de position dominante ou tout autre pratique concurrentielle, au droit de la propriété intellectuelle et à la réglementation relative aux aides d'Etat ;
    - l'offre de NextRadioTV est équitable.


    Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a adopté le 22 mai 2019 une décision d'extension du délai d'instruction et adressé des mesures d'instruction aux sociétés BFM TV, RMC Découverte, Diversité TV et Free, en qualité de parties, ainsi qu'aux sociétés Bouygues Télécom, Groupe Canal Plus, Orange, SFR, Amaury Média, Groupe M6, Groupe TF1, NRJ Group et à l'association des chaînes conventionnées éditrices de services (ACCeS), en qualité de tiers intéressés ;
    Par de nouvelles observations en défense, enregistrées le 27 mai 2019, la société Free conclut aux mêmes fins que ses précédentes observations en défense par les mêmes moyens et demande en outre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de procéder à l'audition des représentants de la société Orange.
    Vu les observations des parties et des tiers en réponse aux mesures d'instruction ;
    Vu la décision du Conseil du 10 juillet 2019 décidant du caractère non public de la séance d'examen du différend ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu :


    - le code civil, notamment ses articles 1102, 1104 et 1112 ;
    - le code de commerce, notamment son article L. 442-1 ;
    - la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;
    - le décret n° 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l'application de l'article 17-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement de différends par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
    - la délibération du 9 avril 2014 modifiée fixant le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel, notamment ses articles 17 à 23 ;


    Après avoir entendu le 17 juillet 2019, lors de la séance d'examen du différend :


    - le rapport de M. Le Dorze ;
    - les observations de M. Weill, président des sociétés BFM TV, Diversité TV et RMC Découverte, M. Bernet, directeur général des sociétés BFM TV, Diversité TV et RMC Découverte, M. Matas, directeur exécutif juridique du groupe SFR et Me Molinié, pour les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV ;
    - les observations de M. Lombardini, président du conseil d'administration d'Iliad, M. Reynaud, directeur général d'Iliad, Me Sureau et Me Fréget pour la société Free ;


    Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur ;
    Considérant ce qui suit :
    1. Par contrats des 15 juillet 2005, 8 novembre 2012 et 11 décembre 2012, les parties ont convenu de la distribution des chaînes BFM TV, RMC Découverte et RMC Story (anciennement « Numéro 23 ») au sein des offres de services de la société Free par un réseau n'utilisant pas de fréquences assignées par le conseil. Par courriers en date du 20 février 2018, les sociétés éditrices des services BFM Business TV, BFM TV, RMC Découverte et RMC Story ont signifié leur intention de mettre un terme aux autorisations de distribution de leurs services respectifs avec la société Free, telles qu'elles résultaient des contrats conclus. Elles l'ont invitée à convenir de nouvelles modalités de reprise des chaînes concernées et de leurs services associés. Par un courriel du 14 août 2018 d'un responsable du groupe Altice Media, les dates d'échéance respectives des contrats ont été fixées au 20 mars 2019. A la suite de l'échec des négociations, les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV ont saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel en règlement du différend l'opposant à la société Free.
    Sur les demandes d'injonctions présentées par les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV :
    Sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la société Free.
    Sur le cadre juridique applicable :
    2. Aux termes de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou par un distributeur de services, par une des personnes mentionnées à l'article 95 ou par un prestataire auquel ces personnes recourent, de tout différend relatif à la distribution d'un service de radio, de télévision ou de médias audiovisuels à la demande, y compris aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, aux missions de service public assignées aux sociétés nationales de programme mentionnées à l'article 44 ou à leurs filiales répondant à des obligations de service public, à La Chaîne parlementaire mentionnée à l'article 45-2, à la chaîne Arte et à la chaîne TV5, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes, ou lorsque ce différend porte sur le caractère transparent, objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes et de services ou de leur numérotation ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services. (…) »
    3. Par une décision n° 321349 du 7 décembre 2011, le Conseil d'Etat a jugé que les pouvoirs conférés par le législateur au Conseil supérieur de l'audiovisuel au titre de sa mission de règlement de différends doivent être conciliés avec la liberté contractuelle dont disposent, dans les limites fixées par la loi, les éditeurs et distributeurs de services audiovisuels. Lorsque le différend qui lui est soumis naît dans le cadre d'une relation contractuelle entre un éditeur et un distributeur ou d'une offre de contrat, il lui est loisible, pour assurer le respect de l'ensemble des principes et obligations énumérés à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de prononcer, sous le contrôle du juge, des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution des conventions entre les parties au différend, y compris si les circonstances de l'espèce l'exigent, l'injonction de faire à l'autre partie une nouvelle offre de contrat conforme à certaines prescriptions. En revanche, quand il est saisi d'un différend en l'absence de relation contractuelle ou de toute offre de contrat, ce que les dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 permettent, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne dispose du pouvoir de prononcer une telle injonction de faire une offre que, d'une part, envers un opérateur à qui la loi fait expressément obligation de mettre à disposition un service ou de le reprendre ou, d'autre part, dans le cas où cette injonction est nécessaire pour prévenir une atteinte caractérisée à l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes.
    Le présent différend est né dans le cadre des relations contractuelles présentées au point 1 de la présente décision.
    Sur le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 :
    4. Aux termes de l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 : « Sans préjudice des articles 34-1 et 34-2, tout distributeur de services fait droit, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, aux demandes des éditeurs de services de télévision ne faisant pas appel à rémunération de la part des usagers et dont la diffusion est autorisée conformément aux articles 30 ou 30-1 tendant, d'une part, à permettre l'accès, pour la réception de leurs services, à tout terminal utilisé par le distributeur pour la réception de l'offre qu'il commercialise et, d'autre part, à assurer la présentation de leurs services dans les outils de référencement de cette offre. (…) »
    5. Il ressort tant des termes des dispositions précitées que de la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-497 DC du 1er juillet 2004 que cet article ne crée pas d'obligation nouvelle de transport et de commercialisation des programmes à la charge des distributeurs. Le législateur a entendu concilier la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle avec l'intérêt général s'attachant à la possibilité donnée aux éditeurs d'accéder aux décodeurs des distributeurs, laquelle favorise la diversification de l'offre de programmes et la liberté de choix des utilisateurs.
    6. Ces dispositions ne peuvent donc être utilement invoquées pour justifier le prononcé d'une injonction tendant à ce que la société Free transporte et commercialise - c'est-à-dire reprenne, au sein de son offre de services mise à disposition du public par un réseau n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, les chaînes et services associés des sociétés demanderesses.
    7. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire ne s'oppose à ce qu'un éditeur autorisé à exploiter un service par voie hertzienne terrestre et ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers, subordonne la fourniture de ce service à une rémunération de la part d'un distributeur de services qui met à disposition du public, par un réseau n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, une offre de services de communication audiovisuelle comportant des services de télévision ou de médias audiovisuels à la demande.
    Sur le moyen tiré du caractère objectif, transparent, équitable et non-discriminatoire de l'offre de contrat formulée par le groupe NextRadioTV à destination de la société Free :
    8. Par courriers en date du 20 février 2018, les sociétés demanderesses ont signifié à la société Free leur intention de mettre un terme aux autorisations de distribution de leurs services respectifs telles qu'elles résultaient des contrats conclus. Elles l'ont invitée à convenir de nouvelles modalités de reprise des chaînes concernées et de leurs services associés. Dans le cadre de leur saisine en règlement de différend, elles font valoir que leur offre commerciale relative à la reprise des chaînes en clair du groupe NextRadioTV et de leurs services associés est équitable, raisonnable et non discriminatoire.
    9. La seule circonstance qu'une offre de contrat soit objective, transparente, équitable et non discriminatoire est sans incidence sur la liberté dont dispose le destinataire d'une offre de contrat pour la rejeter. Dans ces conditions, le moyen tiré du caractère équitable, raisonnable et non discriminatoire de l'offre de contrat formulée par le groupe NextRadioTV à destination de la société Free est inopérant. Il y a lieu, toutefois, d'apprécier si le refus de la société Free d'accepter cette offre de contrat est conforme aux dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.
    Sur le moyen tiré du caractère non transparent, non objectif, inéquitable et discriminatoire du rejet par la société Free de l'offre de contrat du groupe NextRadioTV :
    10. D'une part, les dispositions de l'article 1102 du code civil prévoient que chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. Les dispositions de l'article 1104 du même code prévoient que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Les dispositions de l'article 1112 du même code prévoient que l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
    11. D'autre part, les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce prévoient « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : 1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ; 2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. / II. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. (…) »
    Quant au caractère transparent du refus :
    12. Le caractère transparent d'une relation contractuelle implique que l'auteur d'une offre de contrat en vue de la renégociation des termes de la relation contractuelle existante soit à même de connaître, de comprendre et de répondre au refus formulé par le destinataire de l'offre.
    13. Il résulte de l'instruction que la société Free a, par courrier du 12 décembre 2018, demandé au groupe NextRadioTV de recevoir les nouvelles conditions de distribution de leurs chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre et de leurs services associés, en précisant qu'elle souhaitait permettre à ses abonnés de recevoir le signal linéaire des chaînes en question.
    14. C'est par un courrier du 19 février 2019 que les demanderesses ont, pour la première fois, évoqué les conditions financières demandées. Par courrier du 25 février 2019, la société Free a considéré que les seuls éléments relatifs aux conditions financières de distribution ne lui permettaient pas de procéder à une analyse complète. Par un courrier du 1er mars 2019, le groupe NextRadioTV a estimé que les termes d'un projet de contrat détaillé ne pouvaient être discutés qu'après un accord sur les conditions financières de la poursuite des relations contractuelles.
    15. Par un courrier du 11 mars 2019, la société Free a précisé souhaiter poursuivre la diffusion des chaînes concernées, vouloir en négocier les termes et conditions et notamment rémunérer les services à valeur ajoutée « si ces derniers sont significatifs, précisément décrits et mis en service dans un calendrier engageant. » Dans ce même courrier, elle a précisé qu'elle n'avait pas « à ce jour la possibilité de mener une négociation ne connaissant pas avec précision la prestation qui nous est proposée. » Ce courrier poursuit en abordant les différences avec les conventions conclues avec les groupes TF1 et M6.
    16. Par un courrier du 14 mars 2019, la société Free a rappelé être ouverte à une « rémunération des services à valeur ajoutée associés aux chaînes TNT gratuite pour autant qu'ils apportent une forme d'exclusivité par rapport à ceux qui sont proposés sur le web et qu'ils soient attractifs pour nos abonnés. »
    17. Il résulte de ce qui précède que, sur l'ensemble de la période d'échanges entre les sociétés, la société Free a précisé qu'elle souhaitait continuer à diffuser les services linéaires des chaînes en clair éditées par le groupe NextRadioTV et qu'il lui fallait, pour le reste, connaître avec précision la prestation proposée par ce groupe en matière de services associés. La société Free a précisé qu'elle était disposée à négocier les termes d'une rémunération des services associés, en fonction de leur nature et de leur valeur. Enfin, elle a fait valoir que les conditions financières évoquées par le courrier du 19 février 2019 paraissaient trop élevées eu égard aux services associés proposés.
    18. Dans ces conditions, les sociétés demanderesses ont été informées de manière transparente des motifs ayant conduit la société Free à rejeter leur offre de contrat.
    Quant au caractère objectif du refus :
    19. Il revient au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'apprécier les motifs des décisions prises par les parties dans le cadre de leurs relations contractuelles afin de s'assurer que ces décisions sont fondées sur des justifications cohérentes et qu'elles ne poursuivent pas un but autre que celui en vue duquel leurs auteurs affirment les avoir prises. En revanche, il n'appartient pas au Conseil supérieur de l'audiovisuel de statuer sur le bien-fondé des orientations stratégiques générales des parties en ce qui concerne leurs politiques commerciales, qui relèvent de leurs appréciations respectives et sont mises en œuvre dans le cadre des règles applicables en droit de la concurrence.
    20. Il résulte de l'instruction que sur l'ensemble de la période d'échanges entre les sociétés, la société Free a fait valoir qu'elle ne souhaitait pas rémunérer la commercialisation dans ses offres de services des chaînes des sociétés demanderesses, et que la rémunération des services associés à ces chaînes dépendait de leur valeur ajoutée, en fonction de leur attrait pour le téléspectateur. Les motifs ayant conduit la société Free à rejeter l'offre de contrat proposée sont, par suite, suffisamment objectifs.
    Quant au caractère équitable du refus :
    21. Il résulte des points précédents que la société Free a fait valoir qu'elle ne souhaitait pas rémunérer la commercialisation dans ses offres de services des chaînes des sociétés demanderesses, et que la rémunération des services associés à ces chaînes dépendait de leur valeur ajoutée, et donc de leur attrait pour le téléspectateur. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Free aurait, en refusant de donner suite à l'offre formulée par les demanderesses, méconnu le caractère équitable des relations contractuelles.
    Quant au caractère non-discriminatoire du refus :
    22. Aucune disposition, notamment issue de la loi du 30 septembre 1986, n'oblige la société Free à mettre à la disposition du public, par un réseau n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, les services linéaires et les services associés des sociétés demanderesses. La circonstance que la société Free distribue et commercialise, au sein de son offre de services, des services linéaires et non linéaires d'autres éditeurs, n'implique aucune obligation de contracter avec d'autres éditeurs qui souhaiteraient également être distribués au sein de ses offres de services.
    23. Par ailleurs, la société Free fait valoir, sans être utilement contredite, d'une part, que les services linéaires proposés par les sociétés demanderesses ne représentent qu'une faible part d'audience et ne contribuent que faiblement à l'attractivité de ses offres, contrairement aux services édités par les groupes TF1 et M6. En effet, la société Free mentionne que la part d'audience moyenne des chaînes BFM TV, RMC Découverte et RMC Story s'élève respectivement à 2,6 %, 2,2 % et 1,4 %, tandis que la part d'audience des chaînes TF1, TMC, TFX et TF1 Séries films s'élève respectivement à 20,2 %, 3 %, 1,9 % et 1,6 %. De même, elle relève que la part d'audience des chaînes M6, W9, et 6TER s'élève respectivement à 9,1 %, 2,6 % et 1,6 % (Médiamétrie, Médiamat annuel 2018, 31 décembre 2018). D'autre part, elle signale que les services associés proposés par les sociétés demanderesses ne présentent qu'un faible attrait pour ses abonnés. A cet égard, elle précise qu'à la différence des chaînes éditées par les groupes TF1 et M6, celles éditées par les sociétés demanderesses ne seraient pas adaptées au développement d'un service de télévision à la demande, en raison soit du format même de la chaîne (BFM TV), soit de l'absence de programmes originaux et des nombreuses rediffusions de programmes qui ont lieu sur les chaînes RMC Story et RMC Découverte, les meilleures audiences de télévision de rattrapage étant réalisées par des programmes qui ne font pas déjà l'objet de rediffusion à l'antenne (CNC, baromètre de la télévision de rattrapage, février 2019). Elle ajoute que les chaines les plus regardées en télévision de rattrapage sont TF1 (59,3 %), M6 (44,8 %), France 2 (33,7 %), W9 (15,1 %) et TMC (10,7 %), tandis que les chaînes des sociétés demanderesses ne sont pas référencées dans le baromètre de la télévision de rattrapage. Elle estime la valeur des services associés des sociétés demanderesses d'autant plus faible que les recettes publicitaires des chaînes linéaires le sont également.
    24. La société Free a signifié, comme il a été exposé aux points précédents de la présente décision, aux sociétés demanderesses qu'elle refusait de rémunérer le signal linéaire des chaînes BFM TV, RMC Découverte et RMC Story et que la rémunération de leurs services associés dépendait de leur valeur ajoutée. Pour refuser l'offre globale des sociétés demanderesses, laquelle proposait de manière indissociable les services linéaires précités ainsi que leurs services associés, la société Free s'est fondée sur la circonstance que les services linéaires proposés représentaient une part d'audience plus faible que les services édités par les groupes TF1 et M6, et que les services associés proposés ne faisaient pas l'objet d'une consommation aussi importante que les services associés des groupes TF1 et M6. Au regard de ces éléments, la société Free a estimé que ces services, proposés de manière indissociable au sein d'une offre globale, contribuaient trop faiblement à l'attractivité de ses offres. La société Free a alors estimé que l'offre qui lui était proposée, eu égard notamment à ses conditions financières, n'était pas économiquement avantageuse et l'a rejetée.
    25. En se fondant sur de tels éléments, quand bien même d'autres critères pourraient permettre de juger de l'attractivité d'un service, pour refuser de donner suite à l'offre de contrat qui lui était proposée, la société Free a suffisamment établi l'existence d'une différence de situation avec les groupes TF1 et M6, justifiant le rejet de l'offre proposée. Par suite, la société Free s'est bornée à faire usage de sa liberté contractuelle, sans méconnaître le principe de non-discrimination.
    Sur le moyen tiré d'une atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et à la qualité et à la diversité des programmes :
    En ce qui concerne les services linéaires :
    26. Aux termes de l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Sous réserve des dispositions de l'article 26, l'usage de ressources radioélectriques pour la diffusion de tout service de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique est autorisé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans les conditions prévues au présent article. (…) » Aux termes de l'article 96-1 de la même loi : « Les services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne en mode numérique sont diffusés ou distribués gratuitement auprès de 100 % de la population du territoire métropolitain. A cette fin, sans préjudice d'autres moyens, leur diffusion ou distribution emprunte la voie hertzienne terrestre, la voie satellitaire et les réseaux établis par les collectivités territoriales et leurs groupements dans les conditions prévues par l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Sous réserve de la disponibilité de la ressource radioélectrique, les éditeurs de services nationaux de télévision assurent la diffusion de leurs services par voie hertzienne terrestre en mode numérique auprès d'au moins 95 % de la population du territoire métropolitain, selon des modalités établies par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. (…) »
    27. Les sociétés demanderesses éditent des services de télévision ne faisant pas appel à rémunération de la part des usagers et dont la diffusion est autorisée conformément à l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986. L'absence de distribution et de commercialisation de ces services de télévision par la société Free ne rend pas lesdits services inaccessibles à ses abonnés, dès lors que leur diffusion ou distribution gratuite emprunte la voie hertzienne terrestre, la voie satellitaire et les réseaux établis par les collectivités territoriales et leurs groupements dans les conditions prévues par l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Ces services de télévision sont également mis à leur disposition par les sociétés demanderesses par des réseaux n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ainsi qu'auprès d'autres distributeurs de services sur ces mêmes réseaux. Dans ces conditions, le refus de la société Free de les distribuer et de les commercialiser ne constitue pas une atteinte caractérisée au pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la qualité et la diversité des programmes.
    En ce qui concerne les services de médias audiovisuels à la demande :
    28. Il résulte des dispositions précitées de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 que si le Conseil supérieur de l'audiovisuel est compétent pour apprécier si la disparition d'un service de médias audiovisuels à la demande est susceptible de constituer une atteinte caractérisée à l'un des principes énumérés à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, il ne peut en revanche procéder à une telle appréciation pour tout autre service dit « associé » qui ne serait pas un service de médias audiovisuels à la demande.
    29. Il résulte de l'instruction que les services de télévision de rattrapage associés aux services de télévision BFM TV, RMC Découverte et RMC Story proposés par les sociétés demanderesses, lesquels constituent des services de médias audiovisuels à la demande, ne constituent qu'une modalité de consommation particulière des chaînes de télévision concernées, lesquelles, comme il a été exposé, restent accessibles gratuitement par d'autres moyens aux abonnés de la société Free. Ces services de médias audiovisuels à la demande sont également mis à leur disposition par les sociétés demanderesses par des réseaux n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ainsi qu'auprès d'autres distributeurs de services sur ces mêmes réseaux. Dans ces conditions, le refus de la société Free de les distribuer et de les commercialiser ne constitue pas une atteinte caractérisée au pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la qualité et la diversité des programmes.
    30. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de procéder aux mesures d'instruction demandées, que les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV ne sont pas fondées à demander au Conseil supérieur de l'audiovisuel qu'il enjoigne à la société Free d'accepter leur offre commerciale et de conclure de bonne foi le contrat qui lui a été proposé ou de leur adresser une offre de contrat pour la distribution des chaînes et de leurs services associés,
    Décide :


  • Les demandes présentées par les sociétés BFM TV, RMC Découverte et Diversité TV sont rejetées.


  • La présente décision sera notifiée aux sociétés BFM TV, RMC Découverte, Diversité TV et Free et publiée au Journal officiel de la République française.


  • Délibéré le 31 juillet 2019 par M. Roch-Olivier Maistre, président, M. Nicolas Curien, Mme Nathalie Sonnac, Mme Carole Bienaimé-Besse, M. Jean-François Mary, M. Hervé Godechot et Mme Michèle Léridon, conseillers.


Fait à Paris, le 31 juillet 2019.


Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :
Le président,
R.-O. Maistre

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