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(LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2014)


Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi de finances rectificative pour 2014, le 19 décembre 2014, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Elie ABOUD, Yves ALBARELLO, Mme Nicole AMELINE, MM. Julien AUBERT, Jacques-Alain BÉNISTI, Mme Valérie BOYER, MM. Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Dominique BUSSEREAU, Olivier CARRÉ, Gilles CARREZ, Yves CENSI, Jérôme CHARTIER, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Eric CIOTTI, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Gérald DARMANIN, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, David DOUILLET, Daniel FASQUELLE, Marc FRANCINA, Laurent FURST, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Mme Annie GENEVARD, MM. Guy GEOFFROY, Daniel GIBBES, Franck GILARD, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Philippe GOUJON, Mme Claude GREFF, MM. Serge GROUARD, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Patrick HETZEL, Christian KERT, Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, M. Jean-François LAMOUR, Mme Laure de LA RAUDIÈRE, M. Alain LEBŒUF, Mme Isabelle LE CALLENNEC, MM. Marc LE FUR, Dominique LE MÈNER, Philippe LE RAY, Céleste LETT, Jean-François MANCEL, Hervé MARITON, Philippe MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Mme Dominique NACHURY, MM. Yves NICOLIN, Patrick OLLIER, Bernard PERRUT, Franck RIESTER, Arnaud ROBINET, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. André SCHNEIDER, Fernand SIRÉ, Eric STRAUMANN, Claude STURNI, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Michel TERROT, François VANNSON, Patrice VERCHÈRE, Michel VOISIN, Eric WOERTH, Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, MM. Charles de COURSON, Yves JÉGO, Jean-Christophe LAGARDE et Philippe VIGIER, députés ;
Et, le 22 décembre 2014, par MM. Bruno RETAILLEAU, Pascal ALLIZARD, Gérard BAILLY, François BAROIN, Philippe BAS, Jérôme BIGNON, Jean BIZET, François BONHOMME, Gilbert BOUCHET, Michel BOUVARD, François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Daniel CHASSEING, Alain CHATILLON, François COMMEINHES, Gérard CORNU, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, René DANESI, Mathieu DARNAUD, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Marie-Hélène DES ESGAULX, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, MM. Eric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Mmes Marie-Annick DUCHÊNE, Nicole DURANTON, M. Louis DUVERNOIS, Mme Dominique ESTROSI SASSONE, MM. Hubert FALCO, Michel FORISSIER, Alain FOUCHE, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Jean-Claude GAUDIN, Jacques GAUTIER, Jacques GENEST, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Jean-Pierre GRAND, Daniel GREMILLET, François GROSDIDIER, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Charles GUENÉ, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Mme Corinne IMBERT, M. Alain JOYANDET, Mme Christiane KAMMERMANN, M. Roger KAROUTCHI, Mme Fabienne KELLER, MM. Guy-Dominique KENNEL, Marc LAMÉNIE, Mme Elisabeth LAMURE, MM. Robert LAUFOAULU, Daniel LAURENT, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Baptiste LEMOYNE, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Gérard LONGUET, Mme Vivette LOPEZ, MM. Michel MAGRAS, Claude MALHURET, Didier MANDELLI, Alain MARC, Philippe MARINI, Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Albéric de MONTGOLFIER, Jean-Marie MORISSET, Philippe MOUILLER, Philippe NACHBAR, Louis-Jean de NICOLAŸ, Claude NOUGEIN, Philippe PAUL, Cyril PELLEVAT, Cédric PERRIN, Jackie PIERRE, François PILLET, Xavier PINTAT, Louis PINTON, Rémy POINTEREAU, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mme Catherine PROCACCIA, MM. Henri de RAINCOURT, Michel RAISON, André REICHARDT, Charles REVET, Didier ROBERT, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Bruno SIDO, André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLÉ, MM. Michel VASPART, Hilarion VENDEGOU, Jean-Pierre VIAL, Jean-Pierre VOGEL, Jean-Marie BOCKEL, Philippe BONNECARRÈRE, Vincent CAPO-CANELLAS, Vincent DELAHAYE, Mme Françoise GATEL, MM. Loïc HERVÉ, Claude KERN et François ZOCCHETTO, sénateurs.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents ;
Vu la directive 2014/86/UE du Conseil du 8 juillet 2014 modifiant la directive 2011/96/UE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés ;
Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
Vu la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;
Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 24 décembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 2014 ; qu'ils mettent en cause la conformité à la Constitution de son article 46 et de certaines dispositions de son article 72 ; que les députés contestent en outre la conformité à la Constitution de certaines dispositions de son article 31 ainsi que la place des articles 19 et 106 en loi de finances rectificative ;
Sur la place de l'article 19 dans la loi déférée :
2. Considérant que l'article 19 modifie certaines dispositions du code du travail relatives aux taux et aux règles de répartition de la contribution versée par les employeurs au titre de leur participation au financement de la formation professionnelle continue ;
3. Considérant que, selon les députés requérants, cet article n'a pas sa place en loi de finances rectificative ;
4. Considérant que la contribution versée par les employeurs au titre de leur participation au financement de la formation professionnelle continue est au nombre des « impositions de toutes natures » au sens de l'article 34 de la Constitution ; que les dispositions relatives au taux de cette imposition ainsi qu'à ses règles d'affectation ont leur place en loi de finances rectificative ; que le grief tiré de ce que les dispositions de l'article 19 ont été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution doit être écarté ;
Sur certaines dispositions de l'article 31 :
5. Considérant que le 3° du paragraphe I de l'article 31 insère dans le code général des impôts un article 1407 ter ; que le paragraphe I de cet article permet au conseil municipal, dans les communes classées dans les zones géographiques mentionnées au premier alinéa du paragraphe I de l'article 232 du même code, de décider une majoration forfaitaire de la part communale de « la cotisation de taxe d'habitation due au titre des logements meublés non affectés à l'habitation principale » ; que le paragraphe II de l'article 1407 ter permet aux contribuables remplissant certaines conditions de bénéficier d'un dégrèvement de cette majoration forfaitaire sur présentation d'une réclamation ; qu'en particulier, le 3° du paragraphe II permet aux personnes « qui, pour une cause étrangère à leur volonté, ne peuvent affecter le logement à un usage d'habitation principale » de bénéficier de ce dégrèvement ;
6. Considérant que les députés requérants contestent le critère de dégrèvement institué par le 3° du paragraphe II de l'article 1407 ter du code général des impôts ; que ce critère serait insuffisamment précis et méconnaîtrait l'étendue de la compétence du législateur ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant… l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » ;
8. Considérant qu'en prévoyant que le conseil municipal pourra instituer la majoration forfaitaire de la part communale de taxe d'habitation due au titre des logements meublés non affectés à l'habitation principale dans les communes classées dans les zones géographiques mentionnées au premier alinéa du paragraphe I de l'article 232 du code général des impôts, le législateur a précisément fixé les règles d'assiette de la nouvelle majoration ; qu'il a également précisément défini les contribuables qui pourront obtenir, sur réclamation, un dégrèvement de cette majoration ; qu'à cette occasion, le contribuable pourra demander le bénéfice de l'application des dispositions de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales ; qu'en particulier, en vertu du 3° du paragraphe II de l'article 1407 ter du code général des impôts, le dégrèvement de la majoration instituée par le paragraphe I du même article pourra être obtenu notamment par le contribuable se trouvant dans l'impossibilité d'affecter le logement à un usage d'habitation principale imputable à une cause étrangère à sa volonté ; que le grief tiré de ce que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence doit être écarté ;
9. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
11. Considérant que l'objet de la majoration instituée par l'article 1407 ter du code général des impôts est d'inciter la personne occupant un logement à un titre autre que celui de la résidence principale dans une zone qui se caractérise par la tension du marché immobilier à donner à ce logement un usage de résidence principale ; qu'il résulte des principes constitutionnels d'égalité devant la loi et les charges publiques que la différence de traitement fiscal instaurée par cet article n'est conforme à la Constitution que si les critères d'assujettissement retenus sont en rapport direct avec l'objectif poursuivi ; que ladite majoration de la taxe d'habitation ne peut, dès lors, frapper que des logements meublés habitables, qui ne sont pas affectés à l'habitation principale et dont l'absence d'affectation à l'habitation principale tient à la seule volonté de leur occupant ;
12. Considérant qu'il ressort du 1° du paragraphe II de l'article 1407 ter du code général des impôts que sont dégrevées de la majoration les personnes contraintes de résider dans un lieu distinct de celui de leur habitation principale « pour le logement situé à proximité du lieu où elles exercent leur activité professionnelle » ; qu'il ressort du 3° du même paragraphe II que sont également dégrevés les contribuables notamment pour des logements ayant vocation, dans un délai proche, à disparaître ou à faire l'objet de travaux dans le cadre d'opérations d'urbanisme, de réhabilitation ou de démolition ou pour des logements mis en location ou en vente au prix du marché et ne trouvant pas preneur ; que, dans ces conditions, les critères légaux de dégrèvement de la majoration de la part communale de la taxe d'habitation pouvant être décidée par le conseil municipal ne sont pas contraires aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques ;
13. Considérant que les dispositions du 3° du paragraphe I de l'article 31 doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
Sur l'article 46 :
14. Considérant que l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 susvisée institue une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, lorsqu'elle dépasse 400 mètres carrés, des établissements ouverts à compter du 1er janvier 1960 ; qu'elle s'applique aux établissements dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur ou égal à 460 000 euros ; que, pour les établissements dont le chiffre d'affaires au mètre carré est inférieur à 3 000 euros, le taux de cette taxe est de 5,74 euros par mètre carré de surface de vente ; que, pour les établissements dont le chiffre d'affaires est supérieur à 12 000 euros au mètre carré, ce taux est de 34,12 euros ; qu'entre 3 000 et 12 000 euros de chiffre d'affaires au mètre carré, le taux augmente en proportion de l'augmentation du chiffre d'affaires au mètre carré ; que des taux particuliers s'appliquent à certaines catégories de commerce ;
15. Considérant que le montant de la taxe est majoré de 30 % pour les établissements dont la superficie est supérieure à 5 000 mètres carrés et dont le chiffre d'affaires annuel hors taxes est supérieur à 3 000 euros par mètre carré ;
16. Considérant que le 1.2.4.1 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 susvisée dispose que cette taxe est perçue au profit de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'établissement imposable ou, le cas échéant, au profit de l'établissement public de coopération intercommunale ; que le cinquième alinéa de ce 1.2.4.1 dispose que l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou, à défaut, le conseil municipal de la commune affectataire de la taxe peut moduler le montant de la taxe de plus ou moins 20 % ; que son dernier alinéa dispose que, pour les frais d'assiette et de recouvrement, l'Etat effectue un prélèvement de 1,5 % sur le montant de cette taxe ;
17. Considérant que le paragraphe I de l'article 46 complète l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 par un alinéa aux termes duquel : « Le montant de la taxe calculé selon le présent article et avant application de la modulation prévue au cinquième alinéa du 1.2.4.1 de l'article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 est majoré de 50 % pour les établissements dont la surface de vente excède 2 500 mètres carrés. Le produit de cette majoration est affecté au budget de l'Etat » ;
18. Considérant que les députés et les sénateurs requérants soutiennent que cette majoration est instituée dans le but de compenser l'avantage que les entreprises de la grande distribution ont pu retirer de l'application du « crédit d'impôt compétitivité emploi » ; que, d'une part, l'objectif poursuivi de compenser, par une disposition fiscale, l'avantage conféré par une autre disposition fiscale porterait atteinte à la garantie des droits ; que, d'autre part, la majoration ne serait pas en adéquation avec l'objectif poursuivi dans la mesure où son champ d'application est plus restreint que celui du « crédit d'impôt compétitivité emploi » ; qu'enfin, l'application de cette majoration de 50 % de la taxe aux magasins de commerce de détail alors que les entreprises de commerce électronique n'y sont pas assujetties méconnaîtrait également l'égalité devant les charges publiques ;
19. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent en outre que les dispositions de l'article 46 méconnaissent les principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dans la mesure où l'absence de précision sur les conditions dans lesquelles s'appliquent les diverses majorations de la taxe sur les surfaces commerciales ne permet pas aux entreprises qui y sont assujetties de « prendre conscience » de son taux effectif ; qu'en particulier l'articulation entre la majoration de 50 % de la taxe et la modulation qui peut être appliquée par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale ne serait pas claire ; qu'il en irait de même de l'éventuelle application à cette majoration du prélèvement pour frais d'assiette et de recouvrement ;
20. Considérant que les sénateurs font enfin valoir que, pour les établissements disposant d'une surface de vente supérieure à 5 000 mètres carrés, l'application cumulée de la majoration de 30 % et de celle de 50 % entraînerait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; qu'une telle rupture serait accrue par l'application des autres majorations ; que serait d'ailleurs incohérente l'application du prélèvement pour frais d'assiette et de recouvrement à une majoration perçue au profit de l'Etat ;
21. Considérant, en premier lieu, qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ;
22. Considérant qu'il ressort des termes mêmes des dispositions contestées que la majoration de 50 % qu'elles prévoient porte sur le montant de la taxe « avant application de la modulation » décidée par l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou par le conseil municipal ; que cette modulation, prévue au cinquième alinéa du 1.2.4.1 de l'article 77 susmentionné, ne porte que sur le produit de la taxe perçue au profit de la commune ou de l'établissement public ; qu'il en va de même des frais d'assiette et de recouvrement prélevés en application du dernier alinéa de ce 1.2.4.1 ; qu'en prévoyant que la majoration de 50 % sera appliquée sur « le montant de la taxe calculé selon le présent article », le dernier alinéa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 a entendu que cette majoration soit appliquée au taux de cette taxe, majorée le cas échéant de 30 % en application des dispositions de ce même article ; que ces dispositions ne sont pas inintelligibles ;
23. Considérant, en second lieu, qu'en instituant une taxe sur les surfaces commerciales, le législateur a entendu favoriser un développement équilibré du commerce ; qu'il a, pour ce faire, choisi d'imposer les établissements commerciaux de détail ayant une surface significative de vente ; qu'en adoptant les dispositions contestées, il a entendu augmenter le rendement de cette taxe au profit du budget de l'Etat ; qu'en prévoyant que la majoration est applicable aux établissements dont la surface de vente est supérieure à 2 500 mètres carrés, il a fixé un critère objectif et rationnel tant au regard de l'objet de cette majoration que de l'objet de la taxe ; qu'eu égard aux taux de la taxe, cette majoration n'entraîne ni dans le montant de l'imposition ni dans les effets de seuil de son barème une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
24. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 46, qui ne méconnaissent ni la garantie des droits ni aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
Sur certaines dispositions de l'article 72 :
25. Considérant que les dispositions combinées des articles 145 et 216 du code général des impôts régissent le régime fiscal des sociétés mères, qui permet à ces dernières, sur option, d'être exonérées d'impôt sur les sociétés sur les produits de participation reçus de leurs filiales ; que l'article 216 prévoit que les produits nets des participations perçus au cours d'un exercice par une société mère peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges, fixée uniformément à 5 % du produit total des participations ; que l'article 145 détermine les conditions requises pour bénéficier du dispositif prévu à l'article 216 ; que le 6 de cet article 145 fixe la liste des cas dans lesquels ce dispositif n'est pas applicable ;
26. Considérant que le a introduit au 6 de l'article 145 par le cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 72 de la loi déférée ajoute à cette liste les « produits des titres prélevés sur les bénéfices d'une société afférents à une activité non soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent » ;
En ce qui concerne la procédure :
27. Considérant que les sénateurs requérants font valoir que le cinquième alinéa de l'article 72 a été adopté à l'issue d'un débat « tronqué », le Gouvernement n'ayant fourni « aucune explication de son sous-amendement n° 586, aucune analyse du dispositif proposé, aucune évaluation, et aucune information au Sénat » ; qu'aurait ainsi été méconnue l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires ;
28. Considérant, toutefois, que la disposition contestée est issue d'un amendement et d'un sous-amendement adoptés lors des débats devant l'Assemblée nationale en première lecture ; que cet amendement et ce sous-amendement étaient accompagnés d'un exposé des motifs détaillant leur objet ; qu'il s'ensuit qu'en tout état de cause le grief tiré de la méconnaissance de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires manque en fait ;
En ce qui concerne le fond :
29. Considérant que les requérants soutiennent que la disposition contestée est contraire aux dispositions des directives de l'Union européenne du 30 novembre 2011 et du 8 juillet 2014 susvisées ; que cette disposition porterait en outre atteinte à des situations légalement acquises ou aux effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations, ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi ; que, selon les sénateurs requérants, le a du 6 de l'article 145 méconnaît l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ;
30. Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ;
31. Considérant que la disposition contestée subordonne le bénéfice du régime des sociétés mères à la condition que les bénéfices sur lesquels sont prélevés les produits des titres perçus par la société mère soient afférents à une activité soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent ; qu'en faisant référence au fait que les bénéfices doivent être « afférents à une activité soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent », le législateur n'a pas permis d'apprécier les activités soumises à l'impôt au sens de cette disposition ; qu'en particulier, celle-ci ne permet pas de savoir si cette appréciation s'effectue pour les activités de la filiale, y compris lorsque cette dernière a été exonérée de l'impôt en application du régime fiscal des sociétés mères, ou si elle s'effectue aussi pour les activités des filiales de cette filiale ; qu'eu égard à l'imprécision qui résulte de cette indétermination, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les griefs des requérants, le cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 72 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur la place de l'article 106 dans la loi déférée :
32. Considérant que l'article 106 modifie les dispositions du premier alinéa de l'article 100 de la loi du 24 novembre 2009 susvisée ; que le 1° de l'article 106 prévoit un report au 1er janvier 2020 de la date à compter de laquelle il ne peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application ; que le 2° de l'article 106 prévoit que des rapports sur l'encellulement individuel devront être remis au Parlement et devront comprendre en particulier une information financière et budgétaire relative à l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires ;
33. Considérant que, selon les députés requérants, cet article n'a pas sa place en loi de finances rectificative ;
34. Considérant qu'eu égard aux dépenses pour le budget de l'Etat qu'entraînerait l'application des dispositions de la loi du 24 novembre 2009 relatives à l'encellulement individuel dont le 1° de l'article 106 prévoit le report, ce 1° de l'article 106 trouve sa place dans la loi de finances rectificative ;
35. Considérant que la disposition prévoyant la remise de rapports d'information au Parlement relatifs à l'encellulement individuel et comprenant en particulier une information financière et budgétaire est une disposition relative à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ; que le 2° de l'article 106 trouve donc sa place dans la loi de finances rectificative ;
36. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions de l'article 106 ont été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution doit être écarté ;
Sur certaines dispositions de l'article 60 :
37. Considérant que l'article 60 modifie les articles 200 B, 244 bis A et 1529 du code général des impôts ; qu'il a pour objet de réformer le régime d'imposition des plus-values immobilières des personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France et des personnes morales ou organismes dont le siège social est situé hors de France ;
38. Considérant que, dans le cadre de cette réforme, le 1 du paragraphe III bis inséré dans l'article 244 bis A par le c du 2° du paragraphe I de l'article 60 prévoit que les plus-values réalisées par ces personnes et organismes lors de la cession des biens ou droits immobiliers ou des parts ou actions de sociétés à prépondérance immobilière sont soumises à un prélèvement au taux de 33 1/3 % ; qu'il prévoit toutefois que les personnes physiques, les associés personnes physiques de sociétés, groupements ou organismes dont les bénéfices sont imposés au nom des associés et les porteurs de parts personnes physiques de fonds de placement immobilier mentionnés à l'article 239 nonies sont soumis à un prélèvement au taux de 19 % ; que, par dérogation au 1 du paragraphe III bis de l'article 244 bis A, le 2 du même paragraphe prévoit que « le taux est porté à 75 % lorsque les plus-values sont réalisées par ces mêmes personnes ou organismes lorsqu'ils sont domiciliés, établis ou constitués hors de France dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A » ;
39. Considérant que l'exigence d'égalité devant les charges publiques ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ;
40. Considérant que les plus-values assujetties au prélèvement à un taux forfaitaire de 75 % sont par ailleurs assujetties aux contributions sociales sur les produits de placement prévues par l'article 16 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, par l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et par les articles L. 136-7 et L. 245-15 du code de la sécurité sociale ; que le taux forfaitaire de 75 % a pour effet de porter à 90,5 % le taux d'imposition sur les plus-values immobilières réalisées par les personnes ou organismes visés au 2 du paragraphe III bis de l'article 244 bis A ; que, par suite, ce régime dérogatoire fait peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leur capacité contributive et est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques ; que, dès lors, le 2 du paragraphe III bis de l'article 244 bis A du code général des impôts dans sa rédaction résultant du c du 2° du paragraphe I de l'article 60 doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur l'article 80 :
41. Considérant que l'article 80 prévoit la remise d'un rapport au Parlement présentant les conséquences pour le budget de l'Etat d'une rupture unilatérale, à l'initiative de l'Etat, des contrats des six sociétés concessionnaires d'autoroutes privatisées en 2006 ; que cette rupture et le dépôt du rapport au Parlement devraient intervenir au plus tard le 30 décembre 2014 ; qu'une telle disposition est contraire au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; qu'elle doit être déclarée contraire à la Constitution ;
Sur la place de l'article 109 dans la loi déférée :
42. Considérant que l'article 109 complète l'article L. 1142-24-5 du code de la santé publique ; qu'il ouvre la faculté pour le collège d'experts placé auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de rendre un nouvel avis relatif à l'existence d'un déficit fonctionnel imputable au benfluorex ;
43. Considérant que cette disposition ne concerne ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l'Etat ; qu'elle n'a pas trait à des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'Etat ; qu'elle n'a pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d'approuver des conventions financières ; qu'elle n'est pas relative au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ; qu'ainsi, elle est étrangère au domaine des lois de finances tel qu'il résulte de la loi organique du 1er août 2001 susvisée ; qu'il suit de là que l'article 109 a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ;
44. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :


  • Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi de finances rectificative pour 2014 :


    - le quatrième alinéa du c du 2° du paragraphe I de l'article 60 ;
    - le cinquième alinéa de l'article 72 ;
    - l'article 80 ;
    - l'article 109.


  • Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de cette même loi :


    - l'article 1407 ter du code général des impôts, tel qu'il résulte du 3° du paragraphe I de l'article 31 ;
    - le dernier alinéa de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, tel qu'il résulte de l'article 46.


  • La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
    Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 décembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
    Rendu public le 29 décembre 2014.


Le président,
Jean-Louis Debré

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