Mémoire en réplique des députés signataires du recours dirigé contre la loi relative à l'assurance maladie

Version initiale


  • Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, les observations du Gouvernement sur la saisine critiquant la loi relative à l'assurance maladie appellent la brève réplique suivante.


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    Le Gouvernement fait référence dans ses observations à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue l'équilibre financier de la sécurité sociale. Les requérants ne contestent pas la nécessité de préserver cet équilibre, mais il ne saurait être la justification d'une atteinte portée par la loi critiquée aux autres droits constitutionnellement garantis que sont le respect de la vie privée et le droit à la santé. Il appartient au législateur de veiller à concilier l'ensemble de ces exigences constitutionnelles, de garantir ces droits et de les pérenniser.
    Force est de constater que cette référence tardive ne saurait écarter les critiques faites au cours des travaux parlementaires à l'égard d'un projet de loi à l'équilibre financier plus qu'incertain, et après que les deux dernières lois de financement de la sécurité sociale ont été pour le moins éloignées d'un tel objectif (décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003).
    1. S'agissant de l'article 3 de la loi critiquée, il apparaît que le Gouvernement ne répond pas à tous les griefs articulés par les auteurs de la saisine.
    En particulier, d'abord, les auteurs de la saisine s'étonnent sur le fait que la finalité de ce dossier médical personnalisé est principalement présenté comme lié à un objectif de santé publique, alors que, de l'aveu même des écritures en réponse, le refus d'accès aura surtout pour conséquence de réduire la part de remboursement forfaitaire.
    Il est donc singulièrement audacieux de prétendre que le consentement de l'assuré social sera seulement « incité » et non contraint par cet encadrement financier. D'autant plus audacieux que la majoration du ticket modérateur est, à ce jour, d'une proportion inconnue. Ni la loi, ni le Gouvernement dans sa défense n'indiquent la portée de cette « incitation » financière. C'est dire que le mécanisme ainsi mis en place crée les conditions, au moins du fait de son manque de précision, d'une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée. La déconnexion que veut opérer le Gouvernement, dans ses observations, entre les conditions d'accès au dossier médical personnel et le niveau de prise en charge n'est pas recevable. Une contrainte financière pèse en toutes circonstances sur le patient selon qu'il présente ou non son dossier.
    Ensuite, le Gouvernement demeure silencieux sur la coexistence de deux régimes différents quant à l'accès au dossier médical personnalisé par des tiers. Dans un cas, l'accès est interdit, dans l'autre « il ne peut être exigé ». On mesure que cette nuance réserve, pour la seconde hypothèse, le risque de pressions directes ou indirectes sur l'assuré social. Pourtant, rien ne justifie une telle ouverture dans laquelle pourraient s'insinuer des prestataires peu soucieux des libertés individuelles.
    L'atteinte au droit à la vie privée est ici, encore, disproportionnée.
    2. Concernant l'article 20 de la loi critiquée, la défense du Gouvernement est extrêmement faible et pour tout dire dénuée de conviction.
    Celui-ci se contente d'affirmer péremptoirement que cette contribution forfaitaire, véritable prélèvement obligatoire innommé, n'est pas un ticket modérateur d'ordre public et qu'elle ne rompt pas le principe d'égalité. C'est nettement insuffisant eu égard au sujet et aux griefs développés par les auteurs de la saisine.
    En premier lieu, force est de constater que le Gouvernement, après avoir indiqué ce que n'est pas cette taxation forfaitaire, ne sait pas dire ce qu'elle est. Cette absence de qualification juridique laisse à penser qu'il s'agit soit, effectivement, d'un ticket modérateur d'ordre public, soit alors d'une imposition de toute nature.
    Le fait que cette contribution forfaitaire obligatoire participe, selon les termes du Gouvernement, de l'objectif constitutionnel de l'équilibre financier de la sécurité sociale ne justifie rien à cet égard. Si cet objectif doit être respecté pour que, notamment, le droit à la santé et à la protection sociale pour tous puissent être garantis et pérennisés, il ne saurait servir d'alibi pour mettre en place des régimes portant une atteinte radicale au principe d'égalité. C'est le sens, in fine, de votre décision du 18 décembre 1998 précitée face à laquelle le Gouvernement ne peut argumenter. Admettre ce renversement de logique de notre système de protection sociale équivaudrait à installer les fondements d'une sécurité sociale à deux vitesses.
    Or, c'est pourtant ce à quoi aboutit l'article 20 en cause.
    En effet, il importe de souligner, encore une fois, que la contribution forfaitaire critiquée, prélèvement obligatoire innommé, pèsera de façon indistincte sur l'ensemble des assurés sociaux indépendamment de leurs comportements personnels. Il s'ensuit que, faute de critères objectifs et rationnels encadrant le pouvoir réglementaire quant à la fixation du montant futur de ce prélèvement obligatoire, le principe d'égalité a été manifestement méconnu.
    En l'absence de tels critères, il ne peut s'agir d'une participation personnelle mais bien d'une contribution obligatoire.
    En second lieu, nul ne contestera que cette atteinte au principe d'égalité ne peut s'autoriser du but de la loi critiquée. On en voudra pour preuve les conclusions de tous les experts sur l'absence de véritable responsabilisation pouvant résulter d'un tel mécanisme.
    On ajoutera, au regard de l'intérêt général, que cette contribution obligatoire pèsera sur de nombreuses catégories d'assurés sociaux aujourd'hui exonérés de la part personnelle à leur charge au titre de l'actuel article L. 322-2 du code de la sécurité sociale : les personnes handicapées, les invalides, les accidentés du travail, les anciens combattants.
    Ces personnes ne seront plus prises en charge à 100 % pour leurs dépenses de santé en l'absence de critères objectifs et rationnels. Ils s'acquitteront de cette participation forfaitaire au montant inconnu à ce jour.
    En effet, à la différence de la participation personnelle de l'assuré prévue par l'actuel article L. 322-2 du code de la sécurité sociale, la nouvelle contribution obligatoire ne pourra être couverte par les contrats d'assurance complémentaire ainsi qu'il résulte de l'article 57 de la loi. La suppression de certains avantages fiscaux par cet article 57 renforce, d'ailleurs, la nature d'imposition de toute nature de la contribution obligatoire édictée par l'article 20 querellé.
    Surtout, en troisième et dernier lieu, il faut redire que la violation du principe d'égalité est d'autant plus grave que rien dans la loi ne permet d'encadrer le montant de cette contribution forfaitaire obligatoire.
    Le désormais fameux montant de « 1 euro » n'existe que dans des déclarations politiques dépourvues de toute portée juridique. Il constitue un simple trompe-l'oeil médiatique. C'est dire que le montant futur de ce prélèvement qui pèsera sur tous les assurés sociaux pourra être, en vérité, particulièrement lourd et pénalisant pour les personnes aux plus bas revenus ; sans que leur comportement personnel soit, à aucun moment, à l'origine de la somme dont ils devront obligatoirement s'acquitter. Le tout sans qu'ils puissent bénéficier de leurs contrats complémentaires pour pallier leurs faibles ressources.
    On ne peut ignorer combien cette logique défavorisera les personnes aux ressources les plus modestes.
    Ainsi, la rupture d'égalité est renforcée par le fait que les contrats d'assurance complémentaire prévus à l'article 57 de la loi pourront prendre en charge les dépassements d'honoraires autorisés par l'application conjointe des dispositions des articles 7 et 8 de la loi, mais ne pourront couvrir la participation forfaitaire prévue à l'article 20.
    Il est, à cet instant, remarquable de relever que le Gouvernement ne donne aucune précision sur le montant à venir de ce prélèvement. Comment le pourrait-il ? La loi est muette et seul le pouvoir réglementaire pourra s'y substituer sans avoir été encadré, de façon objective et rationnelle, par le législateur.
    Au regard du onzième alinéa du Préambule de 1946 comme de l'article 34 de la Constitution et du principe d'égalité, un tel mécanisme ne peut être admis.
    La censure ne pourra être évitée.
    3. Sur l'article 23 de la loi, le Gouvernement n'est guère plus convaincant.
    En particulier, reste entière la question de savoir pour quels faits et dans quelles circonstances les assurés sociaux seront sanctionnés. En effet, selon la jurisprudence la plus constante, seul le médecin traitant a qualité pour apprécier le caractère nécessaire des actes au rétablissement de l'état de santé des patients (Soc. 11 février 1993, RJS 1993, n° 323, 2 espèces).
    Dès lors, on ne voit pas très bien sur quels fondements précis l'assuré social pourrait être ainsi attrait devant la commission, dont la composition exacte demeure inconnue. Quant à la proportionnalité des peines pouvant exister en cette occurrence, considérant que le patient ne peut être tenu pour coresponsable des actes de son médecin traitant, elle reste sans garantie. L'indétermination du dispositif législatif critiqué ne peut être admise au titre du onzième alinéa du Préambule de 1946 et de l'article 34 de la Constitution.


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    Par ces motifs, et tous autres à déduire ou suppléer même d'office, les auteurs de la saisine persistent de plus fort dans leurs conclusions.
    Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.

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