Décision n° 2021-932 QPC du 23 septembre 2021

NOR : CSCX2128856S
JORF n°0223 du 24 septembre 2021
Texte n° 53

Version initiale


(SOCIÉTÉ SIMS HOLDING AGENCY CORP ET AUTRES)


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 juin 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 917 du 16 juin 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société SIMS Holding agency corp et autres par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-932 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des troisième et neuvième alinéas de l'article 131-21 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ainsi que du 4° de l'article 313-7 et du 8° de l'article 324-7 du même code.
Au vu des textes suivants :


- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ;
- la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;
- la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-66 QPC du 26 novembre 2010 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;


Au vu des pièces suivantes :


- les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Spinosi, enregistrées le 15 juillet 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;


Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les sociétés requérantes, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 14 septembre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi, pour celles des dispositions dont la rédaction n'a pas été précisée, du 4° de l'article 313-7 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus et du 8° de l'article 324-7 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 11 octobre 2013 mentionnée ci-dessus.
2. L'article 131-21 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, est relatif à la peine complémentaire de confiscation. Ses troisième et neuvième alinéas prévoient :
« Elle porte également sur tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime. Si le produit de l'infraction a été mêlé à des fonds d'origine licite pour l'acquisition d'un ou plusieurs biens, la confiscation peut ne porter sur ces biens qu'à concurrence de la valeur estimée de ce produit ».
« La confiscation peut être ordonnée en valeur. La confiscation en valeur peut être exécutée sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition. Pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose confisquée, les dispositions relatives à la contrainte judiciaire sont applicables ».
3. Le 4° de l'article 313-7 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009, prévoit que les personnes physiques coupables de l'un des délits prévus aux articles 313-1, 313-2, 313-6 et 313-6-1 du même code encourent à titre de peine complémentaire :
« La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution ».
4. Le 8° de l'article 324-7 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 octobre 2013, prévoit que les personnes physiques coupables des infractions définies aux articles 324-1 et 324-2 du même code encourent à titre de peine complémentaire :
« La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution ».
5. Les sociétés requérantes reprochent à ces dispositions de permettre à la juridiction de jugement d'ordonner la confiscation d'un bien dont la personne condamnée a seulement la libre disposition, sans prévoir que le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit cité à comparaître devant elle. Il en résulterait une méconnaissance du principe du contradictoire, des droits de la défense, du droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que du droit de propriété. Pour les mêmes raisons, elles font également valoir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant ces mêmes exigences.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le troisième alinéa de l'article 131-21 du code pénal, sur les mots « ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » figurant au neuvième alinéa du même article, sur le 4° de l'article 313-7 et sur le 8° de l'article 324-7 du même code.
7. Par ailleurs, les sociétés requérantes font valoir que, ces dispositions étant également contraires au droit de l'Union européenne, le Conseil constitutionnel ne pourrait reporter la date de leur abrogation sans méconnaître l'exigence de respect du droit de l'Union européenne qui résulterait de l'article 88-1 de la Constitution. A cet égard, elles lui demandent de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l'Union européenne de la possibilité pour une juridiction constitutionnelle nationale de faire application de cette faculté de modulation des effets dans le temps de ses décisions dans un tel cas.
Sur la recevabilité :
8. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu'il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
9. Dans sa décision du 26 novembre 2010 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 131-21 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 juillet 2010 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
10. Toutefois, la présente question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions de l'article 131-21 dans sa rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013, que le Conseil constitutionnel n'a pas déclarées conformes à la Constitution. Dès lors, il y a lieu de procéder à l'examen des dispositions contestées, sans qu'il soit besoin de justifier d'un changement des circonstances.
Sur le fond :
11. Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le respect des droits de la défense.
12. Les troisième et neuvième alinéas de l'article 131-21 du code pénal sont relatifs au régime général de la peine complémentaire de confiscation. Ils prévoient, pour le premier, que cette peine peut porter sur tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception de ceux susceptibles de restitution à la victime, et, pour le second, que la confiscation peut être ordonnée en valeur et, le cas échéant, être exécutée sur tous les biens appartenant au condamné.
13. Le 4° de l'article 313-7 et le 8° de l'article 324-7 prévoient que les personnes physiques coupables d'une infraction relevant de l'escroquerie ou du blanchiment peuvent être condamnées à la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution.
14. Il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, que la confiscation peut également porter sur les biens dont ces personnes ont seulement la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi.
15. Toutefois, dans cette dernière hypothèse, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ne prévoient que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi.
16. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.
Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
17. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
18. En premier lieu, d'une part, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61-1 de la Constitution, d'examiner la compatibilité des dispositions déclarées contraires à la Constitution avec les traités ou le droit de l'Union européenne. L'examen d'un tel grief et la transmission des questions préjudicielles qu'il peut justifier relèvent de la compétence des juridictions administratives et judiciaires.
19. D'autre part, la question préjudicielle que les sociétés requérantes demandent au Conseil de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne ne porte pas sur la validité ou l'interprétation d'un acte pris par les institutions de l'Union européenne. Par suite, les conclusions aux fins de transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne doivent être écartées.
20. En second lieu, en l'espèce, d'une part, l'abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives en privant la juridiction de jugement de la faculté de prononcer une peine de confiscation. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 mars 2022 la date de l'abrogation des dispositions contestées. D'autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel décide :

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